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                                                       Vieilles canailles                                                 

 

 La nuit je maraude, fric-frac, pas vu pas pris, je suis le passe-partout, le voleur qui rôde. Aucune serrure ne me résiste. En matière de tact, je n’ai de leçon à ne recevoir de personne. Aucune carambouille majeure à mon actif.  Pas un bobo, pas une égratignure. Célérité, efficacité, propreté.

 

 Il fait moins 2 ? J’ai le moral à zéro. Enfin ! Noël est passé, reste le nouvel an. Si je pouvais avoir un brin de compagnie. Lire le journal, remplir les mots croisés, tenter un sudoku diabolique, jouer une partie de Scrabble toute seule, c’est vite lassant. Mais qui aurait envie de faire la conversation à une vioque qui soliloque avec son chien ?

Tiens, me reste plus qu’à japper, hein mon Poki ?  

 

J’opère toujours seul et pour arrondir mes fins de mois j’exerce la profession de réparateur. Cela va d’une ampoule grillée à l’occlusion intestinale d’un évier, un téléviseur à l’agonie, clef avalée par une autruche : toutes choses nécessitant l’intervention d’un praticien expert et confirmé. Je travaille exclusivement dans les quartiers chics de Marseille où je repère les lieux. Au 13 Boulevard Notre Dame vit Adèle Moinot, une veuve octogénaire qui trottine dans la rue en s’appuyant sur son parapluie par coquetterie, pour ne pas montrer qu’elle a besoin d’une canne. Elle se poudre les joues, ses cheveux sont d’une blancheur à rendre jalouse la neige. Une adorable petite vieille très seule, très vieille surtout ou très seule selon les jours. Elle habite un immeuble cossu au deuxième étage avec vue d’un côté sur le vieux port, de l’autre la présence bienveillante de Notre Dame de la Garde.

 

 Soir de la saint Sylvestre plus long qu’une nuit polaire. Mariette est partie festoyer en famille et m’a laissée choir. Tous mes mouchoirs sont fichus. Mon cher Edouard me manque tant. Ha ! S’il n’avait pas tant fumé ! Bon arrêtons les violons sinon les cordes vont chialer. A peine si j’ai goûté une tranche d’épaule d’agneau de Sisteron mijotée par Mariette mais j’en connais un qui se régale, pas vrai  Poki ? Pas pu avoir de baby, alors j’ai eu Poki. Je descends dans le hall voir s’il n’y aurait pas une carte de vœux dans ma boîte ; si par hasard quelqu’un pense à moi sur terre. Rien, absolument rien à part les éternelles blagues du voisin : Gardez les miettes pour Mme Moinot a-t-il affiché sur ma boîte aux lettres. Tiens, me reste plus qu’à piailler hein mon Poki ?    

 

Me voici dans la nuit glacée qui va me conduire jusqu’en 2019. Je sillonne Marseille sur ma moto, file en direction du vieux port. La Cannebière est encombrée d’ivrognes et de braillards. A chaque rond-point, les arbres de

Noël me font signe en clignotant. J’aime cette atmosphère de liesse qui me laisse toute liberté pour travailler. Je fais du gymkhana entre les voitures. Je me fais abreuver d’insultes au passage : pas de trêve pour les injures qui sont encore plus gratinées que d’ habitude. Un peu plus et j’allais rater le numéro 13 de l’immeuble boulevard Notre Dame où je vais oeuvrer cette nuit. Partout, je rentre comme chez moi : Au bout des doigts : des baguettes magiques ! Gentleman cambrioleur, je suis un vrai seigneur.  Quand il détrousse une femme, il lui fait porter des fleurs,gentleman cambrioleur, je suis un vrai seigneur. 

 

22h.Je zappe sur le cirque à Patrick Sébastien. Il fait la propagande du tabagisme et là je ne suis pas d’accord : Sébastien pousse sa dernière chansonnette avec un refrain qui dit comme ça : Une petite pipe le soir, ça peut pas faire de mal. Et après on s’étonne que les jeunes se droguent… Toute cette daube qu’on nous sert me torpille le moral. Un de ces quatre, Mariette trouvera mon squelette. Hé hé, tout compte fait, ce ne serait pas plus mal. Je retrouverai mon cher Edouard.  Tiens, on a sonné ! Qui ça peut être ? A travers l’œilleton, Mr Fortin  montre patte blanche. Je ne savais pas qu’il devait passer aujourd’hui. Ha mais si mais si… je l’ai appelé pour la machine à laver. Il est vrai… avec ma tête passoire. Il s’excuse de venir si tard, il a réparé plusieurs téléviseurs, des familles ne se sentant pas le courage de passer le réveillon sans la petite lucarne.

Ho ho! Redoutablement séduisant avec son blouson de cuir noir, ses yeux plus noirs encore, son sourire bigrement enjôleur. Il a une galanterie qui se perd aujourd’hui : Il refuse farouchement que je lui paie la réparation effectuée sur la machine à laver.

Mon dieu mon dieu  où ai-je la tête ? J ai un invité et je me présente en robe de chambre et pantoufles. Manque plus que mes bigoudis !

 

Je redoutais que cette fin 2018 me porte poisse mais tout a marché comme sur des roulettes : ni une ni deux, j’ai réparé la machine à laver. Pendant que madame Moinot met des siècles à se pomponner, j’ai tout loisir de fureter dans le salon qui est une vraie caverne d’Ali Baba. Décoration soignée : chaque bibelot est rare et coûteux. Dans la vitrine, mon regard s’attarde sur les porcelaines de Saxe du XVIII ème. Je pose mes doigts sur les moulures patinées du secrétaire fauve. Avec une fourchette que je contorsionne, je l’ouvre. Par hasard, mes doigts heurtent un fleuron, un tiroir dissimulé s’ouvre soudainement avec un cliquetis hé hé! Une petite cavité qui s’ouvre par simple pression. Mazette ! Un collier en or avec un bracelet assorti, une paire de boucles d’oreilles en perles véritables. Et surtout une bague avec un beau solitaire. Le job proprement emballé. Travail d’orfèvre quoi !

 

Dans ma chambre, j’inspecte ma garde- robe : il me faut une robe de soirée : tiens, celle-ci, avec son ourlet  en plume d’autruche ? Non ma fille, tu as passé l’âge de danser le french cancan. Voilà ! Cette robe noire simple et raffinée. Un goût parfait, avec le bibi noir qui rehausse mes cheveux blancs. Un cliquetis me fait sursauter. Reconnaissable entre mille. Sacrebleu, le bandit ! Il y en a un qui doit jubiler mais rira bien qui rira le dernier. La fin de la partie n’est pas sifflée. Minute papillon, j’accroche ma broche en or.  

 

 Elle porte une robe de velours noir ornée de dentelle au cou et aux poignets. Je lui tourne  un compliment dont j’ai le secret, elle rougit comme une pivoine. Adèle Moinot a du être une fameuse beauté du temps de sa splendeur : Son petit chapeau noir lui donne un air mutin et allume le vert de ses yeux un rien pervers. La veuve Moinot ne se doute de rien : Elle voit la vie par le bout de sa lorgnette petite, un sourire béat qui ne la quitte pas plus que sa broche papillon. Une broche qui n’a pas l’air d’être du toc.

 

 Je dresse la table de fête avec la nappe verte. Sans oublier le chandelier en bronze qui a enluminé les fêtes  de plusieurs générations. Mr Fortin n’a pas beaucoup de conversation mais j’en ai pour deux et il mange pour quatre : Le voir dévorer l’agneau que Mariette a fait macérer la veille dans les aromates, le thym, le miel et l’huile d’olive hum…   me met l’eau à la bouche. 

 

Je n’aime pas m’attarder sur les lieux mais là, impossible de refuser l’invitation. J’entends de loin les élucubrations de la vieille toquée, ses phrases à chichi comme des guirlandes. Quelle pipelette ! Mon sac est plein, mon ventre aussi et je goûte mon plaisir sans barguigner.  Je me sens si bien que j’accepte un cigare et une coupe de champagne. Yeux mi-clos, je pense à mon compte en banque qui va s’allonger de 2 ou 3 zéros...

 

Nous savourons les dattes fourrées à la pistache et les truffes au chocolat. Mon invité débouche une bouteille de champagne en un temps record. En virtuose, il verse le champagne dans les coupes en cristal de Bohème. Un vrai gentleman, nous trinquons. Tchin tchin ! Il tète sur son Havane avec un air de ravi de la crèche. Minuit sonne, je ne danse pas le madison mais un slow :ta ta ta…  l’été indien.

 Moi, Adèle Moinot, 80 balais et des poussières dans les bras d’un cavalier terriblement séduisant avec ses yeux gouttes de café. Quoiqu’un peu timide à mon goût. Un authentique blouson noir. On ira où tu voudras quand tu voudras, mon voleur, mon cambrioleur. Hou là là ! Je suis toute émoustillée. C’est le champagne ou bien?  

 

D’habitude j’ fais plus ou moins semblant de boire, voulant garder la tête froide. Mais là j’ai chargé la barrique heu … la bourrique. « Qu’est ce qui vous ferait plaisir M Fortin ? » Dit-elle d’un air canaille. « Un petit café et ensuite une partie de Scrabble ? » Et pourquoi  pas du tricot, domino, faire dodo tant qu’on y est ! Elle devient un tantinet crampon, à dansotter en me piétinant les orteils. Faut que je m’ casse.

 

 C’est pas du jeu de me fausser compagnie, vieille canaille ! Il ne va pas filer en douce avec mes bijoux. Ma parole ! Ce type me prend pour une toquée !   

 

Et voilà ce qui me ferait plaisir dis-je en pointant la broche en or. Elle arrête mon geste avec une fermeté surprenante, yeux féroces qui riboulent en tout sens, elle empoigne le chandelier criant à s’péter les veines du cou : « Bas les pattes espèce de malotru ! Je suis née en un temps où tu n’étais même pas dans les couilles de ton père ! Rends-moi mes bijoux ! » Je la vois, l’arme au poing et puis… trente six chandelles.

 

Il m’a vue avec des yeux de Picsou, ses yeux en boule de loto. Un minable escroc de petite envergure qui manque singulièrement de panache. Mais notre Arsène Lupin ne se doutait pas sur qui il était tombé : Tu as lu le journal mon Poki ? Boulevard Notre dame une octogénaire garde son sang froid et assomme avec un chandelier un cambrioleur la nuit de la saint Sylvestre. Et depuis, je n’arrête pas d’avoir des visites, des interviews que j’accorde royalement.  

 

Régulière tel un carillon suisse, la veuve Moinot vient chaque semaine me rendre visite au parloir. Que c’est long six putains de minutes à écouter sa voix de cigale enrouée :

 

Mr Fortin, qu’est ce qui vous ferait plaisir à part des oranges ? 

                                   

 

 

 

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